Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
histoires de chats
histoires de chats
Publicité
Archives
16 mars 2006

Shâh persane

shah_persanne

C'est une Shâh persane, en vérité, et il est facile de voir qu'elle n'est pas d'ici. Elle grossit très vite, en largeur plus qu'en hauteur, courte sur pattes, agile et molle, avec un panache de queue aussi long qu'elle, des oreilles basses, un nez bref velouté.

Elle joue féroce, s'exaspère vite et semble savourer sa colère comme un plaisir, les yeux clos, les dents serrées, les pattes refermées violemment sur sa proie. Elle vise volontiers le  visage et nous regarde aux prunelles sans faiblir, avec de doux yeux menaçants, verts comme la feuille cendrée du jeune saule ...

Elle foule gaîment, comme on brasse la pâte à pain, la profonde toison de la grand chienne colley ; elle sympathise avec des danois, des bouledogues, même avec des enfants bruyants. Mais certains sons musicaux, certains bruits sournois, à peine perceptibles, l'affolent, et tout son pelage s'effare, se moire d'épis nerveux ... Elle bâille longuement, si l'on ouvre et ferme devant elle une paire de ciseaux. Elle est toute pénétrée de superstitions orientales : deux doigts, tendus en cornes, suffisent à la mettre en déroute ; mais j'ai pendu à son collier, pour la rassurer, une petite fourche en corail rose ...

Une "Shâh" très maniérée, en somme. Une princesse de harem, qui ne rêve pas d'évasion. Une "Shâh" très femelle, coquette, pudibonde, occupée de sa beauté qui croît chaque jour. Fut-il jamais une plus magnifique "Shâh" ? Ardoisée le matin, elle devient pervenche à midi, s'irise de mauve, de gris perle, d'argent et d'acier, comme un pigeon au soleil ... Le soir, elle se fait ombre, fumée, nuage ; elle flotte impalpable et se jette, comme une écharpe transparente, au dossier d'un fauteuil. Elle glisse le long du mur comme le reflet d'un poisson nacré ...

C'est l'heure où nous l'espérons fée, lutin d'Orient, gennia ou efrit ... Nous lui dédions des supplications enfantines et tout empoisonnées de littérature : nous allons jusqu'à la nommer Shéhérazade ! Mais les temps ne sont point accomplis, et "la Shâh" merveilleuse ne rejette pas encore sa robe électrique et soyeuse, ses moustaches en brins d'aigrette, sa queue d'écureuil bleu, ni ses griffes de jade joli.

COLETTE

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité